BONNET ROUGE ou BONNET PHRYGIEN. Sorte de Bonnet dont on coiffait pendant la Révolution l'image de la liberté, et que prirent comme insigne les partisans les plus exaltés de la République. Selon les uns, c'est un souvenir du Bonnet phrygien, que portaient en Grèce et à Rome les esclaves affranchis, ou un emprunt fait aux montagnards catalans des Pyrénées orientales par les premières bandes marseillaises qui vinrent à Paris. Voici, selon d'autres, quelle en serait l'origine : des soldats suisses s'étant révoltés contre leurs officiers avaient été envoyés aux galères ; mais leur grâce ayant été accordée par l'Assemblée nationale, ils revinrent à Paris coiffés du Bonnet rouge des galériens et furent reçus en triomphe par la populace qui adopta ce Bonnet pour insigne. Le 20 juin 1792, le peuple de Paris, qui s'était emparé des Tuileries, força Louis xvi à se couvrir du Bonnet rouge.
Ce symbole de la liberté tire son origine d'une époque si ancienne qu'il nous faudrait remonter jusqu'aux Troyens pour en écrire l'histoire et la signification ; les Grecs et les Romains l'adoptèrent pour signe de l'affranchissement, et, parmi les écoliers du moyen-âge, il devint plus tard le signe caractéristique de l'indépendance du métier.
Avant de figurer dans le blason révolutionnaire de la France, le Bonnet phrygien avait longtemps figuré chez divers peuples, anciens et modernes, comme un emblème de liberté. C'est donc à tort qu'on a prétendu que les révolutionnaires l'avaient copié sur celui des galériens en l'honneur des Suisses du régiment de Châteauvieux, qui furent l'objet d'une fête publique en 1792, après leur délivrance des galères par ordre de la Législative ; ce qu'il y a de vrai, c'est qu'en 1789 un artiste présenta un projet d'insigne pour les drapeaux représentant, entre autres emblèmes, un coq symbole de la France surmonté d'un Bonnet, emblème de la liberté.
Dans le Journal des Révolutions de Paris (3-10 octobre 1789), on voit la gravure d'un projet de cocarde où la nation est figurée, une main sur les tables de la Constitution et des Droits de l'Homme ; l'autre sur un faisceau couronné du Bonnet de la liberté, sans préjudice d'un médaillon de Louis xvi, à l'écusson fleurdelisé.
L'Histoire numismatique de la Révolution, par M. Hennin (in-4°, 1826) donne divers dessins où rayonne le Bonnet phrygien, orné de la cocarde, et celui de la médaille relative à la nomination de Bailly comme maire de Paris, après la prise de la Bastille ; la ville de Paris y est représentée tenant à la main une pique surmontée du Bonnet, tandis qu'à sa gauche on aperçoit un vaisseau (sans doute le vaisseau légendaire), dont la proue est ornée de fleurs-de-lys. La cour elle-même semblait se prêter de bonne grâce à l'étiquette du temps, car on en trouve la preuve dans le langage du marquis de Villette, nous faisant cet aveu : « Nous avons pris le Bonnet de la Liberté sans tant de cérémonie. » (Chronique de Paris du 25 janvier 1790).
Après l'abolition de la noblesse et des armoiries, le Bonnet symbolique fut adopté pour les panneaux de voitures par un grand nombre de riches patriotes, mais cette mesure, toute volontaire, ne fut l'objet d'aucun décret spécial, malgré l'opportunité du moment pour instituer légalement cet emblème national. Jusqu'en 1792, on associa généralement, dans les municipalités et les sections, le Bonnet aux fleurs-de-lys ; on l'y plaçait même au-dessus, comme type ou expression d'une souveraineté supérieure. En un mot, c'était le cimier du nouveau blason de la France, sans qu'aucun décret législatif en eût réglé l'adoption.
La vogue du Bonnet, comme coiffure, date du milieu de l'année 1791 ; elle devint contagieuse dans les premiers mois de 1792. Ainsi que l'écrivait le marquis de Villette (12 juillet 1791) : « Cette coiffure est la couronne civique de l'homme libre et du Français régénéré ». Ajoutons qu'il figure bientôt après au Champ de Mars, à la célébration du 14 juillet, au milieu des décorations qui rehaussaient l'autel de la Patrie. Quant à la couleur rouge, elle fut adoptée, contre l'opinion de Robespierre, comme la plus vivace et la plus éclatante, celle de la flamme et de la vie ; le farouche tribun ne voyait aucun signe de liberté supérieur à la cocarde, et c'était avec elle, disait-il, qu'il voulait vivre et mourir ! Plus enthousiaste que la plupart de ses collègues, le général Kellermann publia au camp de Wissembourg, le 15 juillet 1792, un ordre du jour qui instituait le Bonnet rouge comme un signe sacré, dont il interdisait le port à ceux qui n'y seraient pas autorisés d'une façon spéciale, après quelque acte d'un mérite éclatant. On voit que Kellermann voulait en faire un type de décoration.
L'entraînement fut tel, à Paris et ailleurs, que cette coiffure symbolique devint un signe de ralliement et une manière de réponse aux aristocrates ; des prêtres constitutionnels disaient même la messe en Bonnet rouge, comme l'évêque de Bourges, Torné.
C'est à l'ouverture de la séance du 22 septembre 1792 (troisième séance de la Convention) que, sur la proposition de Billaud-Varenne, on décréta que « tous les actes publics seraient datés de la première année de la République. Le sceau de l'État portera pour légende ces mots : République de France. Le sceau national représentera une femme assise sur un faisceau d'armes, tenant à la main une pique surmontée du Bonnet de la liberté. » Ce décret voté au milieu du bruit et alors que la séance était à peine commencée, ne se trouve pas dans le compte-rendu du Moniteur, ni dans celui de plusieurs autres journaux.
On voit que la pique faisait partie du blason révolutionnaire, parce qu'elle répondait mieux aux idées de l'époque que le faisceau consulaire, et qu'en 1792, les patriotes l'inventèrent à défaut d'armes et de munitions ; elle devint, dès lors, inséparable du Bonnet de la Liberté et lui prêtait son aide en élevant celui-ci aux hauteurs idéales qu'il devait atteindre. À la suite d'une motion de Garran de Coulon, la Convention décréta que les galériens ne seraient plus coiffés du Bonnet rouge, publiquement consacré comme l'insigne du civisme et de la liberté. De son côté, la commune de Paris avait arrêté (6 novembre 1793) que le Bonnet serait désormais la coiffure officielle de tous ses membres, et, pour mieux consacrer l'égalité des sépultures, elle décida que les morts sans distinction, seraient conduits à leur dernier asile précédés d'un commissaire décoré du Bonnet rouge et de la cocarde.
Après le 9 thermidor, une forte réaction s'éleva contre le Bonnet rouge, et on essaya de le faire disparaître sans y parvenir complètement, car on s'en coiffait encore sous le Directoire, et le sceau du Conseil des Cinq-Cents le portait aussi comme timbre officiel de l'État. Son règne s'étendit, malgré l'ostracisme dont le frappait Bonaparte, jusqu'au lendemain du 18 brumaire et aux débuts du Consulat pour s'effacer enfin complètement devant l'Empire. On essaya vainement de le remettre à la mode après les révolutions de 1830 et de 1848, ainsi qu'après le 4 septembre 1870, mais l'esprit public, qui n'y voyait qu'un réveil du terrorisme de 1793, dédaigna cet insigne du passé.
Quant à l'armée, ses drapeaux ont été surmontés d'un fer de lance dès 1791. La Convention imposa bien le Bonnet phrygien au drapeau de l'armée, mais peint au centre de l'étoffe et surmontant le faisceau du licteur entouré de branches de chêne et de laurier. Cet insigne ne plut pas aux troupes et le Bonnet fut rarement phrygien dans tout son écarlate sur les drapeaux des demi-brigades, tant sur les drapeaux régimentaires que sur ceux de bataillon, car il y avait alors un drapeau particulier dans chaque bataillon non pourvu du drapeau du régiment. Ce drapeau particulier était aux trois couleurs nationales disposées suivant le dessin adopté par la demi-brigade. Le drapeau régimentaire porté par le deuxième bataillon des demi-brigades à trois bataillons avait les trois couleurs disposées verticalement. Il remplaçait l'ancien drapeau blanc colonel.
La Convention ne distribua pas de drapeaux aux troupes de ligne. Les régiments, comme après 1870, durent se pourvoir sur leur masse générale d'entretien, ce qui leur permit de représenter le Bonnet phrygien peint sur l'étoffe, tantôt de couleur grise, souvent en gris avec le repli de haut peint en rouge, ce qui faisait ressembler le Bonnet à un casque surmonté d'un cimier écarlate ; puis lorsque les numéros des demi-brigades furent remaniés lors d'une dernière formation, le Bonnet fut généralement remplacé par un casque antique surmonté d'un cimier ou d'une crinière écarlate ou cramoisie, et le casque peint de couleur argentée. C'est ainsi que furent les drapeaux jusqu'à l'Empire. (Cottreau).
Il s'agit ici des troupes régulières et non des innombrables corps francs et bataillons de gardes nationaux dont les insignes varièrent à l'infini et suivant les variations de la politique et de l'opinion, comme ceux de la garde nationale de Paris.
Il existe cependant à l'Arsenal de Vienne (Autriche) trois drapeaux pris durant les guerres de la Révolution, qui, au lieu de pique, portent à l'extrémité de la hampe, un Bonnet phrygien. Cet emblème est assez rare et la plupart des drapeaux n'en sont pas munis.
Il est à remarquer aussi que le Bonnet phrygien, avec deux poignards croisés, fut adopté comme emblème par Henri iii. On peut consulter à ce sujet un des derniers mémoires de M. Egger, publié dans le Journal des savants, sur l'assassinat politique dans l'antiquité. (L'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, année 1895).
Depuis le xixe siècle, il a été adopté, comme emblème héraldique, par les Républiques suivantes :
- République du Paraguay en 1854 : un lion assis sur son derrière, au pied d'une pique surmontée d'un Bonnet phrygien de gueules.
- République Argentine : coupé d'azur et d'argent à deux bras au naturel se donnant la main, mouvant des flancs de l'écu et tenant une pique haute en pal surmontée d'un Bonnet phrygien de gueules. L'écu est sommé d'un soleil radié d'or.
- République d'Haïti : d'argent à un palmier planté sur une terrasse de sinople, sommé d'un Bonnet phrygien de gueules et accosté de deux canons acculés au naturel.
- République Française : Le Bonnet phrygien coiffe une tête de jeune femme sur les monnaies. La République n'a pas encore adopté légalement un blason officiel.
Les timbres-poste de la République de Liberia (Afrique) gravés en 1860 pour l'affranchissement de la correspondance, représentent la Liberté coiffée d'un Bonnet phrygien, armée d'une pique et portant un bouclier ovale. Elle est assise au bord de la mer sur une pierre portant ce mot inscrit : Liberia. Un navire, toutes voiles dehors, paraît à l'horizon. C'est à peu près le dessin du sceau de la République nègre.
Mithra ou Mithras, divinité des anciens Perses, était représentée sous la forme d'un jeune homme avec un Bonnet phrygien, une tunique verte et un manteau flottant sur l'épaule gauche ; il était armé d'un glaive qu'il plongeait dans le cou d'un taureau. On m'a assuré que, dans un village des Flandres, des paysans dansaient autour d'une idole qu'ils nommaient Mithra et placée sur la table d'un cabaret. d'après le Dictionnaire archéologique et explicatif de la
science du blason
Comte Alphonse O'Kelly de Galway — Bergerac, 1901
Essai symbolique
Un BONNET PHRYGIEN sur un bâton symboliserait la liberté. d'après le Manuel héraldique ou Clef de l'art du blason » ( Avertissement)
par L. Foulques-Delanos, Limoges, oct. 1816
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