SIGNIFICATION des armoiries. On a beaucoup écrit sur la signification des
armoiries ; mais, à l'exception de quelques cas
isolés, le défaut de documents certains n'a jamais
permis de résoudre définitivement le problème.
Pour déterminer le sens des figures héraldiques,
il serait indispensable d'en connaître l'origine :
or, c'est précisément ce qu'on ne sait pas, et
ce qu'on ne saura vraisemblablement jamais ;
car les traditions que possèdent sur ce point la
plupart des familles ne présentent presque jamais
un caractère suffisant de certitude. « En général,
dit un éminent écrivain, il y a peu d'armoiries
dont l'origine et la signification précises
soient bien connues. La plupart des maisons ont
du moins cherché à rattacher les leurs à des
aventures étranges, romanesques et peu prouvées,
que les hérauts ont répandues sur des
données qui n'existent plus. »
L'absence de textes positifs n'a pas empêché
les héraldistes d'autrefois d'entreprendre de tout expliquer, et la fécondité de leur imagination a
produit divers systèmes, où, à côté de quelques
faits vrais ou vraisemblables, se trouvent une
multitude d'assertions parfois ingénieuses, mais
presque toujours très-hasardées, si elles ne sont
pas absolument fausses.
En ce qui concerne les pièces honorables, les
uns croient qu'elles représentent le costume de
guerre des anciens chevaliers, et voient le casque
dans le chef, la lance dans le pal, le baudrier
dans la barre et la bande, le ceinturon dans la
fasce, les éperons et les bottes dans le chevron,
l'épée dans la croix, le sautoir et la cotte
d'armes dans l'orle et la bordure. Les autres prétendent
que les pals, les chevrons, les sautoirs,
les jumelles, les tierces, etc., figurent différentes
parties des lices ou barrières que l'on
élevait à l'occasion des tournois, et que les
fasces et les bandes symbolisent les écharpes
que les combattants portaient dans ces solennités.
Ces opinions, et plusieurs autres qu'il serait
inutile de rapporter paraissent ne reposer sur
aucune base certaine, et on peut sans, craindre
de trop s'aventurer, les reléguer au rang des
fables. Tout ce qu'il est peut-être permis d'admettre, c'est que les pièces honorables représentant des figures d'une construction très simple,
ont dû, en raison même de leur facilité
d'exécution, être adoptées, comme signes de reconnaissance,
dès l'origine même de l'art héraldique ;
ce sont celles, en effet, que l'on rencontre
dans les armoiries des plus anciennes familles.
Toutefois, l'une d'elles, la Croix, passe généralement
pour avoir pris naissance aux Croisades ;
mais il ne faut pas oublier que si ces grandes
expéditions ont donné à l'emploi de cette figure
un développement inconnu auparavant, il serait
peu logique de considérer comme ayant compté
un de leurs ancêtres dans les guerres d'outre-mer
tous ceux dont l'écu porte le signe de la Rédemption,
parce que la piété de nos pères a dû plus
d'une fois suffire pour faire adopter, comme pièce
héraldique, l'instrument du supplice du Christ.
Les Besants et les Croissants passent également
pour dater des Croisades. Les premiers offrent,
assure-t-on, l'image d'une des principales monnaies
en cours dans l'empire grec. Mais nous verrons
bientôt, par l'exemple de la famille dauphinoise
de Poitiers, qu'ils peuvent n'être aussi que
d'autres figures circulaires dénaturées. Quant
aux seconds, leur introduction dans les armoiries
semble remonter à une époque relativement moderne, car les populations de l'Europe occidentale
n'ont commencé qu'assez tard à les donner
pour emblème aux nations musulmanes.
Enfin, les Coquilles, si elles n'indiquent pas
toujours une participation plus ou moins directe
aux guerres saintes, dénotent au moins que le
premier qui les a fait peindre sur son écu avait
figuré dans un de ces pèlerinages, moitié pacifiques,
moitié militaires, si fréquents au moyen
âge et qui n'avaient pas toujours pour but le
Saint-Sépulcre.
Parmi les figures, soit naturelles, soit artificielles,
qui meublent les écus, il en est sans doute
beaucoup qui appartiennent au domaine de la
fantaisie, mais le hasard n'a pas dû toujours présider
au choix du plus grand nombre ; malheureusement
les textes qui pourraient nous apprendre
la cause qui les a fait adopter, ou sont
perdus depuis longtemps, ou sont arrivés jusqu'à nous dans un si grand état d'altération
évidente, qu'il n'est guère possible de les prendre
au sérieux.
Beaucoup de figures ont été choisies à cause
de la ressemblance de leur nom avec celui de la
personne. Les armoiries où les figures de cette
sorte se rencontrent sont des armoiries parlantes, ou armes qui chantent, comme quelques-uns les
appellent, et le nombre en est énorme. Ainsi,
pour ne citer que quelques exemples, Hérisson (Bretagne) portait : D'argent, à 3 hérissons de
sable ; — Barillon (Poitou) : De gueules, à 3 barillets
d'or cerclés de sable ;— Le Boeuf (Normandie) :
D'or, au boeuf de gueules ; — Bouvier (Normandie): D'argent, au rencontre de boeuf
de sable, accorné d'or, au chef de sable ; — Des Hayes (Maine) : D'azur, à 3 haies d'or ; — Trois-Monts (Normandie) : D'azur, à 3 montagnes d'argent ; —
Loyseau (Île-de-France) : De gueules, à un oiseau d'or perché sur un écot du même ; — Maigne (Guyenne) : D'azur, à une main appaumée
d'argent ; — Sesmaisons (Bretagne) : de gueules, à 3 maisons d'or, ouvertes, ajourées et maçonnées
de sable ; — Sauvage (Languedoc) : d'azur, au
sauvage de carnation, ceint et couronné de feuilles
de sinople, tenant de sa main droite une hallebarde
du même mise en pal ; — La Tour d'Auvergne :
d'azur, semé de fleurs de lis d'or, à la tour
d'argent maçonnée de sable, brochante ; — Jean Racine : D'azur, au cygne d'argent membré et
bccqué de gueules ; — Charles du Fresne, sieur de Ducange : D'or, au fresne de sinople, etc. Les
armes primitives de la maison de Poitiers, en Dauphiné, appartenaient à la même catégorie,
mais elles constituaient, en outre, un véritable
rébus : on y voyait six pois ; mis en tiers, c'est-à-dire posés 3, 2 et 1, dont on fit plus tard des
besants.
Les anoblis prenaient souvent des armes parlantes,
et, dans ce cas, ils les composaient assez
fréquemment de figures qui rappelaient leur ancienne
profession. C'est pour ce motif que les
Médicis, de Florence, paraissent avoir pris pour
armes des pilules, qu'ils transformèrent plus tard
en tourteaux, afin de faire oublier l'humble point
de départ de leur maison.
Les gentilshommes attachés au service des
princes semblent avoir suivi le même exemple,
et il est probable que la plupart des fleurs de
lis portées en armoiries par tant de familles françaises,
sont moins des concessions particulières
que des marques d'offices remplies par quelques-uns de leurs membres à la cour de nos
rois (1).
Quelquefois les armoiries formaient une anagramme.
Telles étaient, entre autres, celles de la
maison de Lorraine : — D'or, à la bande de
gueules chargée de trois alérions d'argent, — alérion étant l'anagramme de Lorraine (2). Il n'était
pas rare aussi qu'elles tirassent leur origine d'une
anecdote ou d'un fait particulier à celui qui les
avait adoptées le premier. Les princes d'Orange,
par exemple, portaient : D'or, au cornet d'azur, —
à cause de Guillaume d'Orange dit au cort nez.
La Roque rapporte que Guillaume le Bâtard, duc
de Normandie, prit pour armes : — De gueules, au léopard d'or, — parce que le léopard est bâtard,
puisque, au dire de Pline l'Ancien, il résulte
des relations d'une panthère mâle et d'une
lionne. Des chroniqueurs racontent que l'empereur
Frédéric ier, ayant donné un lion à Ladislas ii, roi de Bohême, qui portait alors un aigle,
l'artiste chargé de représenter le noble animal
lui fit la queue si courte que les soldats prétendirent
que c'était un singe, ce qui obligea le
prince bohémien à lui faire peindre deux queues
dressées et passées en sautoir afin qu'on pût bien
les apercevoir. Les armoiries des Colonna, de
Rome, ont une origine assez compliquée. Un
membre de la famille, le cardinal Jean, ayant été
envoyé en Palestine, en qualité de légat, en rapporta,
vers 1223, un tronçon de la colonne qui
avait, dit-on, servi à la flagellation de Jésus-Christ. Pour perpétuer le souvenir de cet événement,
il prit le nom de Colonna, qui est resté à
sa maison, et adopta pour armes : D'azur, à une colonne d'argent. Plus tard, les Colonna surmontèrent
cette colonne d'une couronne royale,
quand Étienne Colonna eut couronné Louis de
Bavière empereur. Enfin, au xvie siècle, ils ajoutèrent
quatorze guidons turcs aux figures précédentes,
parce que Marc-Antoine Colonna avait commandé les troupes pontificales à la bataille
de Lépante. À propos des armes des Colonna,
citons celles des Orso. Cette famille portait primitivement
un ours, mais le cardinal Julien Cesarini, un de ses membres, favori du pape Martin v (Othon Colonna), enchaîna l'animal à la
colonne du souverain pontife, son bienfaiteur,
et, plus tard, un descendant de ce prince de
l'Église obtint de Charles-Quint l'autorisation de
prendre l'aigle impériale. Par suite de ces différentes
additions, la maison se trouva porter :
D'or, à l'ours de sable, attaché par une chaîne
d'argent à une colonne d'azur couronnée de
gueules, à l'aigle impériale mise en chef.
Des idées symboliques paraissent avoir été attachées
à certaines armoiries, mais il est bien
difficile d'obtenir sur ce point des résultats positifs,
et, une fois lancé dans la voie des interprétations,
on peut aller très loin, pour peu qu'on
ait l'imagination ardente. Suivant les anciens héraldistes, et en nous bornant aux figures empruntées
à l'histoire naturelle, — l'Aigle signifierait la
domination ; le Vautour, la hardiesse ; le Perroquet,
l'éloquence ; la Colombe, l'amour conjugal ;
le Corbeau, la médisance et la dissension ; le Coq,
de même que le Héron et la Grue, la vigilance ; le
Cygne, une vieillesse très avancée, etc. ; enfin, le
pélican, qui, selon les anciens Bestiaires, se déchire
le sein pour nourrir ses petits, serait l'emblème du dévouement, et du dévouement le plus
absolu.
On attachait aussi une signification particulière
aux figures tirées du règne végétal. Les fleurs
passaient pour symboliser toutes l'espérance,
parce que leur apparition au printemps fait,
disait-on, présager les récoltes de l'automne. De
plus, la Rose figurait la grâce et la beauté. Quant
à la fleur de Lis, que les rois de France choisirent
pour orner le champ d'azur de leur écu, et que
l'on représentait avec trois pétales seulement, « il est hors de doute, dit un de nos plus spirituels
écrivains, que le pétale central représentait
la religion, et que les ailes ou feuilles latérales
étaient la force morale et la force matérielle destinées à lui servir d'appui (3). »
Parmi les arbres, le Chêne signifiait la puissance ;
la Vigne, l'allégresse ; l'Olivier, la paix ;
le Cyprès, la tristesse ; le Pommier, l'amour ; le
Figuier, la douceur des moeurs et la tranquillité
de la vie, etc. Les Gerbes et les Épis symbolisaient
la frugalité et l'abondance. Enfin, on trouvait dans
la Grenade l'expression emblématique de l'alliance
des peuples réunis sous une même religion.
Mais des idées symboliques n'ont pas été seulement
rattachées aux figures : on a cherché un
sens analogue à chacun des principaux émaux.
Il suffira de citer à ce sujet un passage du père
Anselme : « L'or, dit cet héraldiste, signifie des
vertus chrestiennes, la foy, la justice, la charité
et l'humilité, et des qualitez et vertus mondaines,
scavoir, la force, la prospérité, la constance et les
richesses. — L'argent, entre les vertus chrestiennes,
signifie la pureté, l'espérance, la vérité
et l'innocence, et des qualitez mondaines, la
beauté, la gentillesse, la franchise et la blancheur. — L'asur signifie la chasteté, loyauté, fidélité et
bonne réputation, — et le gueules dénote amour,
vaillance, hardiesse et générosité. — Le sable
signifie prudence, sagesse, et constance aux adversités
et dans la tristesse, — et le sinople, civilité,
amour, joye et abondance. — Le pourpre
dénote la dévotion, la tempérance, la libéralité
et l'autorité souveraine. — L'hermine est symbole
de pureté. » Le savant écrivain ne donne pas la
signification des autres émaux, mais il prétend
que le vair a été introduit dans les armoiries pendant
les Croisades par un membre de la maison
de Coucy (4). d'après l'Abrégé méthodique de la science des armoiries
W. Maigne — Paris,
1885
SIGNIFICATION. Que signifient ces armoiries ? C'est la première question que pose une personne étrangère à la science héraldique. Rien est l'unique réponse possible. Le blason n'est point une langue, comme on le croit généralement par une erreur grossière. Lorsque les chevaliers du moyen-âge eurent adopté l'usage de peindre des figures sur leurs boucliers, les premiers hérauts d'armes dictèrent des lois, donnèrent des préceptes pour la manière de diviser l'écu, d'y coordonner les émaux et d'y placer les pièces. Ils employèrent alors le langage du temps, et leurs successeurs conservèrent les expressions dont ils s'étaient servis et qui en vieillissant ont cessé d'être en usage. La langue française, en matière de blason, est restée stationnaire comme le costume du clergé et de la magistrature. Elle est devenue technique, et le vulgaire n'en comprenant plus le sens et l'origine, s'est cru en présence d'une langue hiéroglyphique. L'ignorance a propagé cette opinion et causé souvent les méprises, les inadvertances les plus ridicules, qui se sont glissées jusque dans les travaux les plus sérieux. d'après l'Annuaire de la noblesse de France
André Borel d'Hauterive — Paris, 1868
Notes de l'auteur
1. Gastelier de La Tour rapporte que le sieur Portail,
mari de la nourrice de Charles IX, obtint, avec des lettres
de noblesse, l'autorisation de porter : Semé de France, à la
vache d'argent, couronnée d'une couronne antique de gueules, accornée et clarinée, d'or. La nourrice de Louis XV fut également anoblie, ainsi que son mari et toute sa postérité, et, suivant Millin, on lui donna pour armes : Un
écu coupé d'or et d'argent, chargé de deux fleurs de lis
d'or, de deux dauphins adossés, avec une couronne royale
posée sur le coupé, et ce « en considéralion de ce que ladite
dame » avait eu « le bonheur d'allaiter successivement
deux fils de France, qui furent tous deux Dauphins. »
2. Plusieurs héraldistes pensent que les trois alérions
figuraient un rôti de pluviers embrochés et rappelaient
des souvenirs de gloire nationale. Ils disent à ce sujet
qu'une querelle s'étant engagée entre les Francs et les
Lorrains au milieu d'une fête donnée par le roi Pépin, le
duc Bégon, qui remplissait l'office de sénéchal, se mit à la
tête des gens de cuisine, les arma de pestels, de cuillers et de crochets ; puis, saisissant lui-même une broche garnie de pluviers, il se jeta au milieu de la mêlée et y fit un
grand carnage. En souvenir de ce fait, les. seigneurs de
Lorraine auraient fait représenter la broche célèbre sur
leur écu, sous la forme d'une bande chargée de trois pluviers
dont on aurait fait par la suite des alérions.
3. « Li roys de France, disent les Annales de Nangis,
accoustumèrent en leurs armes à porter la fleur-de-lys
pinte par trois fueilles, comme ils deissent à tout le
monde : Foys, sapience et cheualerie, pour, par la provision
et par la grâce de Dieu, estre plus abondamment en nostre
royaume qu'en nus autres. Les deux fueilles de lys, qui
sont vêles, segnefient sens et cheualerie, qui gardent et
défendent la tierce fueille qui est au milieu d'icelles, plus longue et plus haulte, par laquelle foys est entendue et segnefiée,
car elle est et doist estre geuuernée par sapience
et deffendue par cheualerie. »
4. « Car vn seigneur de cette maison estant allé aux
guerres d'outre-mer contre les Infidelles, dans vn certain
rencontre, voyans ses gens mis en desordre, et ses bannieres
abattues, s'auisa de couper son manteau d'escarlate
fourré de vair, et ayant éleué des pieces au bout de sa
lance en forme de banniere, il les rallia par ce moyen, et
les encouragea si bien au combat, que la victoire luy demeura ;
ensuite dequoy le heraut de Hongrie blazonna les
armes de ce seigneur facé de vair et de gueules de six
pieces, à cause des couleurs et fourrures de son manteau ;
armes que toute sa posterité a conseruée, quittant les anciennes
qui estaient de gueules à la bande d'or accotée de
deux cotices de mesme, et les seigneurs de Longueual et
de Torcy, qui eurent part à cette victoire en l'an M.xxc,
en emporterent aussi les marques, ces pannes de vair
n'ayans pas encore estez en vsage. »
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